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Pédiatrie

Publié le 29 avr 2022Lecture 7 min

Le casse-tête de l’obésité sévère

Entretien avec Gianpaolo de FILIPPO, hôpital Robert Debré, Paris

Bien que l’effet du confinement ne soit pas encore connu en France, l’incidence de l’obésité de l’enfant semble stable dans notre pays. Mais cette réalité en cache une autre : les formes les plus sévères d’obésité sont en augmentation et traduisent une difficulté majeure dans la prise en charge. Gianpaolo de Filippo (hôpital Robert Debré, Paris) revient sur cet apparent paradoxe

 – Un récent rapport nord-américain(1) montre un accroissement de la fréquence de l’obésité chez les jeunes de 10 à 17 ans, avec des régions où un quart des enfants sont concernés. Qu’en est-il en France ? Gianpaolo de Filippo – En France, on observe une stabilisation du nombre d’enfants et d’adolescents obèses avec une diminution de l’incidence, ce que devrait confirmer les nouvelles données épidémiologiques que nous attendons. En revanche, il semble que la disparité entre obésité commune, qui peut bénéficier d’une simple prise en charge hygiéno-diététique, et obésité sévère s’accroît. Les actions de prévention de l’obésité ont porté leurs fruits, elles ont suscité une prise de conscience du problème, une sensibilisation des pédiatres libéraux et des médecins généralistes, mais tout se passe comme si les enfants qui sont déjà en situation d’échec étaient un peu mis à l’écart.  – En France, selon les derniers résultats de l’étude Obépi-Roche(2) publiés en juin dernier, 34 % des enfants de 2 à 7 ans et 21 % des 8-17 ans sont en situation de surpoids ou d’obésité. Que se passe-til entre ces deux âges pour que le nombre de cas diminue ? G. de Filippo – Chez les tout petits, l’influence de la famille est primordiale. La notion d’environnement obésogène a été développée au cours des dix dernières années, elle est définie par un milieu qui favorise une alimentation calorique et un mode de vie sédentaire. On peut d’ailleurs, dans certains cas, être amené à se poser la question de savoir s’il faut isoler le jeune de son milieu toxique. Lorsque les enfants grandissent, ils élargissent leur périmètre d’interactions et l’influence de l’école, des amis, de la communauté, etc. entrent alors en jeu. L’environnement obésogène comprend dès lors un nombre plus important de facteurs comme l’alimentation accessible et désirée, les opportunités d’activité physique, les infrastructures sportives, les facteurs culturels, microet macro-économiques, etc. Plusieurs méthodes ont été proposées pour évaluer l’environnement obésogène, notamment des questionnaires qui ont été mis au point pour identifier les facteurs de risque environnementaux. Les items explorés vont des plus intuitifs comme l’obésité des parents, la fratrie, jusqu’aux questions sur le mode vie : l’enfant va-t-il à l’école en transports en commun, à pied, en voiture ? À quelle distance est-elle de la maison ? Faitil du sport ? Ses amis en font-ils ?  – Quelle est la part de la génétique et de l’épigénétique dans l’obésité infantile ? G. de Filippo – Mettons de côté les obésités monogéniques (mutation homozygote du gène MC4R, de la leptine, du récepteur de la leptine, de PCSK1, etc.), formes extrêmement rares et sévères, avec des enfants qui pèsent 30 kg à 2 ans et qui doivent être adressés à des centres spécialisés. Dans les autres cas, il s’agit d’une prédisposition polygénique à l’obésité, on parle d’ailleurs de polymorphismes, ce qui signifie que ce sont des variants fréquents dans la population générale dont l’effet ne sera visible que dans un environnement particulier ; il s’agit d’une sensibilité à l’environnement obésogène. Un article paru il y a maintenant plusieurs années dans le New England Journal of Medicine(3) montrait combien l’influence de l’entourage immédiat était important, nettement plus que la génétique (figure). Même s’il existe des terrains « prédisposés », il n’y a rien d’inéluctable dans l’obésité de l’enfant. Parler de génétique aux parents est souvent perçu comme une décharge de responsabilité, « c’est dans les gènes et on n’y peut rien ».  – Vous avez parlé du cas de l’obésité sévère. Quelle est la place de la chirurgie bariatrique chez ces enfants ? G. de Filippo – Les indications de la chirurgie bariatrique chez les moins de 18 ans ont été précisées en 2016. Elles sont plus restrictives que celles en vigueur chez l’adulte, notamment en termes d’IMC, qui doit être ≥ 40 dans un contexte de retentissement psychique et de difficultés psycho-sociales ou ≥ 35 avec une comorbidité majeure, par exemple un diabète de type 2. Des conditions sont ajoutées à ces critères comme le suivi qui doit être assuré par un établissement se référant à un centre spécialisé. Le parcours commence par une réunion pluridisciplinaire (RCP) qui doit valider l’éligibilité du patient. Il se conclut par une deuxième RCP, qui doit se tenir au moins un an plus tard pour confirmer cette éligibilité au regard des arguments initiaux, mais également des éléments du suivi comme l’observance du patient, la qualité et la rationalité de sa motivation. Dès les premières consultations, on met l’accent sur la nécessité d’un suivi à vie après l’intervention et, dès l’inclusion, ils ont un parcours commun avec des centres adultes. En effet, l’âge minimal de la chirurgie étant de 15 ans, nous voyons peu ces enfants en tant que pédiatres, trois ans tout au plus, il faut donc rapidement organiser la transition avec les services adultes.  – Le nombre d’enfants ayant une chirurgie bariatrique a-t-il augmenté ? G. de Filippo – Le nombre d’adolescents éligibles augmente, mais on constate depuis plusieurs années une diminution progressive du nombre de chirurgie ba - riatrique réalisée en France à cet âge(4). De 2011 à 2014, ce chiffre a augmenté, passant de 59 à 135 sur le territoire national, toutes techniques confondues. Depuis, on note une réduction des interventions et cela n’est pas en rapport avec la clarification des indications par la HAS puisque la baisse a commencé avant 2016. Cette décroissance s’est accompagnée d’une modification des techniques utilisées. Les trois plus fréquentes chez l’enfant sont l’anneau gastrique, la sleeve gastrectomie et le bypass. Au début, plus de 80 % des interventions étaient des poses d’anneau gastrique qui avait séduit les pédiatres par son caractère réversible. La possibilité d’y avoir recours précocement afin d’éviter une prise de poids exponentielle avait même été évoquée. Mais pour être efficace cette chirurgie nécessite une observance hygiéno-diététique absolue afin d’éviter des complications à type de dilatation gastrique, glissement de l’anneau avec parfois nécessité d’une ablation en urgence, etc. De plus, sur le long terme l’anneau s’est révélé de moins en moins efficace et la réversibilité s’est avérée relative du fait de la déformation persistante de l’estomac, des adhérences, etc., c’est pourquoi l’engouement pour cette technique s’est estompé ce qui explique la diminution globale du nombre des interventions, alors que proportionnellement les sleeves ont augmenté. Actuellement, on compte 50 à 60 interventions annuelles sur le territoire métropolitain.  – Des études anglo-saxonnes ont montré un impact du confinement sur le poids des enfants. Qu’en est-il en France ? G. de Filippo – Nous n’avons pas de données récentes en France. En revanche, il existe des études conduites dans d’autres pays qui confirment cette tendance sans doute favorisée par l’augmentation de l’addiction aux écrans. Selon des études maintenant anciennes, on sait que passer 5 heures devant des écrans multiplie par 5 le risque d’obésité à l’âge adulte. Chez des enfants confinés à domicile avec de surcroît un enseignement à distance au début de la crise sanitaire, ce contexte a pu installer un cercle vicieux. Pour les enfants que nous suivons, ceux qui souffrent d’obésité sévère, nous avons poursuivi la prise en charge à distance au cours du premier confinement, mais il faut reconnaître que cela a été un échec. On peut l’attribuer à deux raisons principales : la fréquence des consultations, la rencontre avec l’équipe soignante est un élément clé de la prise en charge pour maintenir la motivation de l’enfant ; le confinement a de facto accru la sédentarité et l’addiction aux écrans, un environnement devenu très obésogène. – Que peut-on dire sur l’évolution du diabète de type 2 liée à l’obésité chez les adolescents français ? G. de Filippo – Nous ne disposons pas de données solides récentes en Europe et nous ne pouvons pas appliquer celles issues de la situation nord-américaine. Outre Atlantique, la plupart des diabètes de type 2 (DT2) surviennent chez des enfants d’origine hispanique, avec un facteur génétique qui semble important. En Europe, on relève une faible augmentation dont il est difficile de savoir si elle résulte d’une plus grande attention des médecins et donc d’un diagnostic plus fréquent ou d’un accroissement réel de l’incidence. En effet, le DT2 se révèle à bas bruit chez l’enfant et il peut rester méconnu pendant de longues années. C’est pour cette raison, comme l’a montré la cohorte britannique d’enfants et d’adolescents atteints de DT2 (étude TODAY)(5), que le taux de complications présentes au moment du diagnostic est largement supérieur à celui de l’adulte. On constate chez ces patients des rétinopathies et des néphropathies d’emblée, alors que les glycémies à jeun sont modérées, à 1,30 ou 1,40 g/L à jeun, qui s’élèvent à 2,50 g/L en postprandial, puis reviennent à la normale. Excepté une polyurie qui passe souvent inaperçue, il n’existe pas d’autres symptômes. La connaissance de cette situation a peutêtre conduit les pédiatres à faire plus de bilan complet chez des enfants obèses, et donc à augmenter le nombre de diagnostics. Il est encore tôt pour l’affirmer mais on peut noter que le diagnostic de DT2 est plus fréquemment fréquemment porté aujourd’hui par la réalisation d’une HGPO. Propos recueillis par G. LAMBERT, début novembre 2021 Publié dans Pédiatrie Pratique

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